lundi 16 octobre 2017

Bleus, blancs, cols

Dans mon article du 17 septembre 2013, je vous parlais du pourquoi de mon titre de blog. Et je vous disais aussi que je vous raconterai une autre anecdote sur cette personne qui voyait pour la première fois une assistante sociale homme !

Voici cette autre anecdote...

Toujours au même Centre Médico-Social, j'étais ce jour là avec les deux secrétaires et, bien sûr, nous nous trouvions au secrétariat en train de discuter. Quand le monsieur est revenu me voir. Il était gentil, vraiment, et nous avons vite sympathisé. Il n'aimait pas les papiers et préférait compter sur moi pour l'aider dans ses démarches administratives. C'est incroyable le nombre de personnes en difficulté avec l'écrit, notre belle langue française. J'accompagne très souvent des gens de tout âge et de toutes origines sur la création d'un CV, la rédaction d'un courrier - même très simple -, le remplissage d'un document administratif ; quant à "surfer" sur internet... alors là, je n'en parle même pas ! C'est un autre univers pour certains !

Heureusement, c'est ce genre d'activité que j'aime bien faire aussi car, pour moi, c'est assez aisé et cela parle vraiment aux usagers. Ils sont parfois impressionnés avec l'aisance dont je fais part dans ce domaine. Très souvent, ils me disent "je ne pourrai pas faire votre travail" ou "je ne sais pas comment vous faîtes pour vous y retrouver"... Alors, bien sûr, je leur réponds "chacun son métier ; vous croyez que je suis capable d'élaguer un arbre, de conduire un tractopelle, ou d'installer des canalisations ?". Mais ce qui renforce chez eux cette admiration pour l'écrit c'est, je pense, une sorte de croyance que l'accès à l'écrit ouvre la porte au savoir et donc au pouvoir. Or, même si quelque part il y a une sorte de vérité, il n'empêche qu'un monde dans lequel il n'y aurait que des intellos serait un monde invivable, voire mort. De même qu'un monde où personne ne pense mais où chacun fait serait un monde d'abrutissement total. Il faut trouver un juste milieu ; il faut que "les cols bleus" rejoignent "les cols blancs". Le savoir des uns doit être la nourriture des autres. Il y a aussi parfois du mépris de ces "petites gens" qui sont en bas de l'échelle sociale. Et je n'ai jamais compris et apprécié un tel mépris. Alors que le monde serait plus beau et plus vivable si chacun aidait l'autre et s'enrichissait de l'autre. Non ? A ce propos, il me vient une idée de lecture que je peux vous inviter à faire. C'est de lire (ou relire) "Les oiseaux du maître" de Christin. Une belle BD que j'ai bien appréciée et qui permet d'illustrer mes propos. Pour ceux qui ne connaissent pas, il s'agit des aventures de Valérian, l'agent spatio-temporel très souvent accompagné de la charmante Laureline...



Donc, pour revenir à mon mouton, que nous pourrions appeler Lucien, nous étions en train de discuter de tout et de rien avec les secrétaires quand mon "client" est entré et s'est présenté. Il n'avait pas vraiment l'air bien frais ; il ressemblait plus à un poisson séché qu'à un gardon ! En fait, il avait bourlingué la veille et sortait d'une soirée un peu trop arrosée. Ah, l'alcool ; encore un poison dont il faudra que je vous parle... Plus tard.

Nous étions donc les trois à l'accueillir et à venir à sa rencontre. Lucien nous expliquait qu'il fallait qu'il fasse une démarche administrative mais que cela lui passait au-dessus de tout ! Il devait refaire une carte d'identité et il devait obtenir un extrait d'acte de naissance. Jusque-là, rien de bien spécial pour moi. Je lui explique que par internet, si la commune de naissance est assez grande, elle doit certainement disposer d'un service internet état-civil et que nous pouvons faire cette démarche facilement, en deux clics et trois secondes.

Vous êtes né où Lucien, dis-je innocemment ?
Où que je suis né ?
Oui ; votre commune de naissance ?
Ah ! À Beuvry...

Nous n'avons pas pu nous retenir. Je revois mes deux secrétaires partir dans un grand éclat de rire très communicatif ! Lucien et moi, nous nous sommes mis aussi à rire ; c'était si drôle et si spontané ! L'accompagnement social réserve parfois de belles surprises !!! Ce sont vraiment des moments de la sorte qui fleurissent mon métier.




vendredi 6 octobre 2017

Contre l'abandon !

Non, non... N'allez pas croire que j'ai abandonné toute envie d'écrire et de partager quelques souvenirs !
Enfin, je dis ça ; je dois vous avouer que j'ai failli tout effacer... Mais je l'aime bien ce petit blog et, voilà, je m'y remets.
Je trouve aussi que les travailleurs sociaux sont rares à écrire et à durer dans le temps... de l'écriture ; cela va de soi ! Sur la toile, alors que nous sommes certainement plusieurs milliers de travailleurs sociaux connectés régulièrement, ben les écrits, c'est pas une grande floraison... ! C'est plutôt la sécheresse ! Il faut dire qu'avec Facebook, on se connecte, on regarde, on lit, on écrit de façon rapide, on joue à Candy Crush et puis, le soir, on met la télé, puis fatigué on se couche... C'est un peu ça non ? Les journées se succèdent sans que nous nous en apercevions vraiment.
Vendredi dernier, je suis allé retrouver des anciens collègues que j'avais quitté 7 ans plus tôt pour fêter un départ à la retraite. Ca m'a fait quand même bizarre de revoir certains visages, un peu blanchis, les traits un peu plus marqués... Et je me suis dit "moi aussi ?"... Le temps nous érode, nous sculpte puis nous enterre.
Bon, vous allez vous dire "il n'est pas gai aujourd'hui pour sa reprise"... Pas d'inquiétude ! Je vais bien !
Mais plusieurs évènements ont eu lieu ces derniers temps et, ma foi, j'étais un peu pris ailleurs. Aujourd'hui, j'ai l'impression de renaître et cela fait du bien !

Je vous raconterai. Plus tard. Pas dans 20 ans, ne vous inquiétez pas.

Aujourd'hui, c'est donc tout simplement le billet du retour. Je viens vous faire coucou !

Et vous, vous êtes toujours là ? Mes blogueuses bloguent toujours ?

Je vous dis à très bientôt. Promis, juré, pas craché... c'est pas propre !!!!

Christophe.








samedi 20 septembre 2014

Le coup de gueule !

Cela fait un moment que je ne suis pas venu. J'avais pourtant juré de venir souvent et de vous donner des nouvelles bien fraîches !
Ben voilà ; je suis comme le politique... Je fais des promesses et pis je ne les tiens pas !
Aïe ! Aïe ! Aïe ! Vous m'en voulez ? Louise..., tu m'en veuuuuuuux !!!!?

Bon, si je reviens, c'est bien pour vous ! Et puis, ça fait du bien d'écrire, de dire.

Mais que dire ?

J'aurais envie de faire un billet sur le service social en général. Pourquoi ?

Je suis assez critique sur les assistants de service social. Assez déçu.
J'ai travaillé en polyvalence, en insertion ; auprès des vieux, des jeunes, des paumés, des handicapés et je continue d'exercer ; je prends des stagiaires pour leur donner la passion du métier mais surtout pour leur dire de partager au maximum avec les "usagers".

Il faut partager !

Partager les dispositifs avec les gens. Leur expliquer comment cela fonctionne.
Partager notre ressenti. Dire aux personnes qu'on accompagne, les difficultés qu'on rencontre dans leur accompagnement, les malaises, les plaisirs.
Partager notre savoir, nos références, nos pensées.

Expliquer !

Expliquer comment on fait appel d'une décision.
Expliquer pourquoi il y a eu un refus ou un accord.
Expliquer les freins et les atouts dans la situation.
Expliquer les droits et devoirs.
Expliquer le système social, le fonctionnement des lois, de la démocratie.

Il faut mettre au cœur "l'usager" et ne pas le considérer comme un numéro et un ignare. L'aider dans les méandres de l'administration, dans le jargon de notre vocabulaire. Comment pourrions-nous faire autrement au risque d'abêtir les personnes, les rendre dépendantes de notre action ?

Ah ! Le super pouvoir des AS ! Ceux qui ne disent pas, qui n'expliquent pas, qui ne répondent pas au téléphone, qui snobent le pauvre, l'étranger, le handicapé...

Dehooooors !

La démocratie, elle ne s'exerce pas qu'au moment des élections ! Elle se pratique au quotidien.
Si on veut que la France ne tombe pas aux mains des extrémistes haineux, il est indispensable d'expliquer à ceux qui ont du mal à répondre aux questions qu'ils se posent et où ils ne trouvent personne sur qui compter.
N'est-ce pas là la priorité du service social ?
Marcher avec "l'usager", être à ses côtés, l'encourager, le soutenir, chercher avec lui des solutions, lui dire nos impossibilités ; mais se démener pour être à son service !

Combien j'ai reçu "d'usagers" me disant que jamais on ne leur a expliquer le B-A BA de l'action sociale ? Ce à quoi ils pouvaient prétendre ? Qu'ils découvrent qu'il y a une façon d'accompagner une personne ; mais vraiment accompagner. Le service social n'est pas sur une bonne pente. Parfois je pense changer de boulot tellement je suis révolté par l'inertie de certains acteurs sociaux. Je n'en reviens pas. L'incompétence gangrène l'action sociale. Dégoûté, révolté, irrité. Mais aussi, content quand les "usagers" me disent toute leur satisfaction d'être accompagnés par ma personne.

Je me fais des chevilles ? Vous pensez ?
Ben pensez alors ! Mais pensez bien fort.

Je fais des erreurs, je me trompe, j'oublie, j'omets, mais par contre je le dis, je m'excuse, et j'entends les remarques même si elles me bousculent et me remettent en cause.

Je ne suis pas parfait ; je suis un être humain. C'est peut-être pour cela que le service social risque de crever ; par manque d'humanité. Un comble !

Amis, collègues, je sais que vous n'êtes pas tous ainsi. Fort heureusement ; j'ai également des retours positifs. Mais pensez à secouer ceux qui dorment et qui sabotent le service social. Et pensez à former les jeunes, à leur montrer que la vie ça n'est pas un dispositif immuable mais que la vie leur appartient.

Montrez-leur aussi qu'il est indispensable de se cultiver, de lire, de regarder, de chanter, de partager des expériences diverses et variées, d'aller à la rencontre des gens, de se battre pour que ceux qui sont appelés les "sans grades" retrouvent leur dignité, leur raison de vivre, leur place dans la société ; alors, la société française ne sera plus tendue comme un arc ; prête à exploser !

Aaaaaaaaaaaah... Ca va mieux..................




samedi 5 octobre 2013

Quand la misère côtoie la justice...

C'est un vendredi... C'est souvent le cas. Posez la question aux assistants sociaux ; demandez-leur quel est le jour qu'ils redoutent le plus. A 95 % vous aurez le vendredi ! Les 5% restants iront sur le lundi !

C'est un vendredi que nous recevons avec ma collègue puéricultrice une OPP ; dans le langage français ça signifie une Ordonnance de Placement Provisoire. Tout est dit dans l'intitulé. On nous ordonne d'effectuer un placement provisoire. Il va sans dire qu'il s'agit d'enfants ; dont un enfant en bas âge.
C'est vraiment ce que je préfère ! Non, j'déconne...



Bref, avec ma collègue, l'OPP nous est adressé par le Procureur de la République (le patron des gendarmes) via notre responsable... Un courrier dont on se passerait bien. C'est même plutôt un fax... Sans ce document, impossible d'effectuer notre mission ; c'est-à-dire de chercher les enfants (il y en a trois dans cette belle histoire) et de les emmener au foyer de l'enfance. Pour les mettre en sécurité. Ce n'est pas par plaisir mais si personne ne le fait je n'ose pas imaginer le futur de ces enfants...

On reçoit le fax et la gendarmerie est prévue dans le scénario... Trois véhicules de gendarmerie avec à sa tête une espèce de Rambo bleu. Il faut dire que le signalement est un peu glauque. Trois enfants (encore tout jeune) qui vivent chez leurs parents (à priori la mère est partie) dans des cabanes-caravanes de bric et de broc sur un terrain un peu en retrait de tout... Le père héberge un individu sans domicile fixe et dont l'esprit semble dérangé. On le soupçonne d'attouchements sexuels... Pour parfaire ce cadre bucolique, il faut entrer dans "la propriété" après avoir franchi une barrière derrière laquelle se trouve un magnifique chien de garde dont les dents ne doivent pas faire que du bien... Une magnifique mâchoire !

Les gendarmes sont comme les nains : sept ! Un peu plus grands quand même ! Nous les suivons avec notre voiture de service. On s'arrête à quelques encablures de la propriété. Un peu la peur au ventre je vous l'avoue... ! Curieusement, je n'ai jamais eu de difficulté à aller chercher des enfants pour les retirer et les mettre en foyer. Non. Là-dessus, j'ai toujours étonné mes collègues. Je n'ai jamais ressenti de pincement au cœur et j'ai toujours bien dormi le soir venu. Non. Ce que je redoutais le plus c'était la violence éventuelle des parents. Surtout dans cette situation. Bien sûr, à chaque fois, je me dis que ça risque de mal tourner. J'imagine des coups physiques, des crachats, le chien qui nous saute dessus, le SDF qui s'y met en prenant un bâton, des insultes...

Il faut dire qu'on s'y rend en force. Des gendarmes restent à l'extérieur ; moi aussi. A l'intérieur se trouvent ma collègue et deux gendarmes. Ca ne sert à rien d'être tous là et il faut garder un œil sur le reste ! Et ma collègue puér' est au top pour aborder les enfants et expliquer au papa ce qu'il se passe. Et ça se passe plutôt bien. Je lui tire ma révérence. Ca met du temps mais on y arrive... Mais sur trois enfants, il y en a que deux... Le troisième, le plus grand, se trouve à l'école. Mer***** !!! On part tous à l'école : gendarmes, service social et papa...

Et curieusement, c'est là que ça bloque. La maîtresse du gamin refuse mordicus de laisser sortir l'enfant avant la fin des cours... Quand on est tête de con on est tête de con ! Les deux autres enfants (il y a quand même un tout petit) commencent à s'agiter. Le père à se poser des questions. Et des parents à venir voir ce beau cortège ! Alors que tout aurait pu se passer sur des roulettes, et pour le bien de tous, la directrice maîtresse refuse. On poireaute. Tout le monde poireaute. Il fait chaud. Il commence à faire tard...

Vers les cinq heures, enfin ! on récupère le grand gaillard. On explique aux enfants ce qu'il se passe. Les enfants comprennent. Ils comprennent vite les enfants quand on explique normalement les choses... Il n'y a pas de larmes. Pas de cris. L'angoisse, je ne la vois pas sur leur visage... Comme si le scénario il le connaissait déjà. Comme s'ils nous attendaient.

Et tout le monde monte dans la voiture. Les trois enfants, ma collègue puér' et moi au volant. Nous avons une trentaine de kilomètres à faire. En plus, ça monte, ça descend et ça zigzague. On n'échappe pas au mal de cœur et à un petit vomi. "T"inquiètes pas, ça va aller. Respire. On prend notre temps. Ca va mieux ?". Et on reprend la route. On leur parle aux enfants. Je me suis même mis à chanter une petite chanson enfantine.

Nous sommes attendus. Les éducateurs du foyer nous accueillent bien. Nous relatons les derniers évènements, ce que l'on sait de la situation ; on décrit le comportement des enfants ; comment ils ont vécu le placement... Je suis étonné de leur capacité d'adaptation. Je me dis qu'il faut peu de choses pour foutre en l'air une vie ! Et qu'heureusement nous faisons ce métier. Non ?

Je suis reparti serein. Je me suis dit que les enfants étaient bien pris en charge et qu'ils allaient pouvoir dormir dans un vrai lit ; que les enfants allaient avoir un vrai repas et qu'ils allaient pouvoir faire de vraies activités d'enfants. Je me suis dit que le monde des adultes allaient leur apporter le meilleur...

Quinze jours plus tard, les parents sont convoqués devant le juge des enfants. C'est normal ; c'est la procédure. Une OPP dure généralement quinze jours. Après, les enfants doivent être confiés au service de l'Aide Sociale à l'Enfance ou bien être remis dans leur famille d'origine.

Les trois enfants sont repartis dans leur famille d'origine...

J'ai cherché à comprendre cette décision du juge. Aujourd'hui, je ne sais toujours pas ce qui a motivé ce retour au foyer... Et pour nous, c'est usant. L'impression de ne pas avoir bien agi ; l'impression de ne pas être compris, entendu... Une impression de travail mal fait. Un peu comme à l'image des gendarmes qui retrouvent des délinquants dans la rue alors qu'ils les ont interceptés en train de faire un acte délictueux.

La justice m'échappe parfois...


vendredi 27 septembre 2013

La aime des pets hache...

Je ne savais pas quel titre mettre à cet article. Ne vous en faîtes pas ; il sera court. Pas comme hier ; long et ennuyeux. Mais bon, il faut bien que j'écrive !

Le matin, je prends ma voiture et je parcours une trentaine de kilomètres pour me rendre à mon boulot. C'est acceptable même si des fois j'en ai un peu marre. Mais ça va ; je n'ai pas trop de bouchons. J'en ai plus dans ma cave que sur la route...



Et quand je prends ma voiture, j'écoute le plus souvent France Culture. "Ouaaaaaah l'intello" pensait mon auditoire... Et pourtant, quel plaisir d'entendre le journal du matin et la chronique de Philippe Meyer à 7h57 (à peu près).

Alors, aujourd'hui, je fais court. Je vais vous partager ce que j'ai entendu l'autre matin. Une des chroniques de Philippe Meyer ; celle du 24 septembre. Philippe Meyer nous parle de la MDPH (d'où mon titre pour les lents d'esprit...). Il s'agit de celle du Calvados. Pour les non-initiés, la MDPH signifie la Maison Départementale des Personnes Handicapées, et sa chronique vaut le détour... !

Allez, je vous la mets là :






Bon, voilà. C'était court mais c'est souvent les meilleures ! Et puis, prenez le temps d'écouter France Culture. Personnellement, j'ai découvert cette radio depuis deux trois ans et j'ai du balayer tous mes à priori...

A tous, je souhaite un très bon week-end.


jeudi 26 septembre 2013

La mobylette bleue

Il y a de cela déjà quelques années... Que le temps file dîtes donc ! Il faut absolument écrire car très vite on se retrouve retraité et puis ensuite, on s'occupe d'autres choses. Du club de Scrabble par exemple ; ou du foyer rural. Enfin, je n'en suis pas tout à fait là et je viens vous conter l'histoire de la mobylette bleue...



Donc, il y a de cela quelques années, je travaillais en polyvalence de secteur, je reçois un jeune. Un jeune, pour le service social - et la société en général -, ça se situe entre 16 et 25 ans. Avant, ce sont des enfants ; après des grands. Certains sont grands mais restent inexorablement coincés dans la case "enfants" dans le mauvais sens du terme. Ce sont des adoltes pourrais-je dire...
Entre 16 et 25 ans, le gouvernement a mis en place le FAJ ; le Fonds d'Aide aux Jeunes. C'est une sorte de grosse enveloppe budgétaire pour apporter un soutien financier à des jeunes qui ont quelques projets qu'ils ne pourraient pas réaliser sans un "coup de pouce". N'allez pas demander une formation pour devenir astronaute ou l'achat d'une Ferrari. Il faut rester modeste mais ça dépanne bien des fois.

Je reçois donc un jeune qui a 19 ans. Appelons-le Fred. Il est venu en mobylette et, vous l'aurez deviné, elle est bleue. Une 103 Peugeot pour les amoureux des mob'. Toute une époque ! Je me rappelle de mes 14 ans où j'avais gagné une mobylette, une 105 Peugeot. J'étais monté à Paris avec deux gendarmes et j'avais défilé avec tous les autres gagnants sur les Champs-Elysées encadré par des CRS... ! J'avais les cheveux longs et le casque au bol ; Les gendarmes ils auraient bien voulu que je me coupe les cheveux mais que nenni ! Ils rageaient !

Le jeune gare sa mobylette sous ma porte fenêtre de bureau. C'est un bureau que j'aime bien. Le mardi matin, c'est jour de marché et j'effectue une permanence. C'est-à-dire que je reçois une personne toutes les demi-heures sur la matinée. Et quand il fait beau, j'ouvre cette porte fenêtre et j'entends les bruits du marché et, très souvent, les chansons françaises qui viennent du juke-box du café d'en face. Et je me mets à chanter devant les gens, à fredonner avec eux. Ca détend l'atmosphère.

Donc, Fred viens me trouver pour que je fasse un dossier FAJ. C'était, je crois, pour le financement du permis de conduire. Il a garé sa mobylette sous ma fenêtre (je suis à un étage). Il est assis en face de moi et, en sa présence, je complète son dossier et rédige mon évaluation sociale. J'ai d'ailleurs toujours procédé ainsi ; remplir l'imprimé et dire exactement ce que l'on écrit. Et en plus, la personne vous aide ! Quand elle quitte mon bureau elle sait très précisément ce que j'ai demandé, pour quelle raison, et le montant.

Je rédige et durant la rédaction nous entendons un bruit de mobylette démarrer et partir... Aïe ! Vous sentez le coup venir... ? Bingo ! Le jeune lève la tête, me regarde et me dit "Oh putain ! Je suis sûr que c'est ma mob' !". Et en deux temps trois mouvements, il quitte mon bureau, dévale les escaliers et s'aperçoit que sa mobylette bleue n'est effectivement plus là... J'appelle la gendarmerie et je leur décrit ce qui s'est passé. J'ajoute que s'ils font des rondes dans la ville, on ne sait jamais... , qu'ils nous préviennent.

Je continue mon évaluation sociale, je termine le dossier puis je décide d'accompagner Fred au commissariat pour qu'il dépose plainte. Je lui dit "on en profitera pour passer par le centre-ville ; on regardera ainsi si la mobylette n'est pas planquée dans une ruelle, une cave". La ville n'est pas grande ; à pied, nous mettons un quart d'heure pour la traverser. Arrivés vers le garage Citroën, je dis à Fred "La gendarmerie est juste là, à environ 200 mètres. Voilà. Si jamais il y a du nouveau, je vous le dirais". Et je le quitte. A ce propos, je ne sais pas si vous avez remarqué mais je vouvoie la jeunesse... Pour moi, le vouvoiement, surtout pour les jeunes, est très important. Il me permet de les placer comme une personne à part entière et de leur donner le statut d'adulte. Les faire grandir en quelque sorte.

On se sépare...

Je retourne au CMS. Le bâtiment n'est pas du tout adapté aux personnes handicapées. Ce sont de vieux escaliers qui mènent aux bureaux. On risque de se casser la gueule surtout en franchissant le seuil. Il y a à ce moment-là une petite marche perverse qui en a calmé plus d'un !
J'entre, je prends le couloir et m'en vais rejoindre la secrétaire à l'accueil. Histoire de papoter un peu et de relater les évènements. J'aime bien les secrétaires pour ça ; elles aiment discuter et réconforter les travailleurs sociaux. Alors, pensez comme cela est cool quand on peut parler un peu de nos misères !
Et tout en discutant, avec la secrétaire, nous regardons par la fenêtre qui donne sur un pont. Et que vois-je d'un seul coup sur ce pont... ?! Je vous le donne en mille...

Je regarde, je me frotte les yeux et je dis "Oooooh ! Mais on dirait la mobylette de Fred". Mais il n'y a pas Fred sur la mob ! Il y a une sorte d'ado pas fini un peu costaud sur la mob. Il porte un bonnet qui lui donne un air de gros nounours. Et il rejoint un autre ado gringalet en blouson noir. Genre Laurel et Hardy... La secrétaire dit "il ne faudrait pas qu'ils s'en aillent" ; et moi de prendre mon courage à deux mains, je sors du CMS et je vais à leur rencontre... Je m'approche d'eux (à l'époque j'ai une veste en jean alors ça impressionne un peu) et je leur dit "Mais dîtes donc, elle est à vous cette mobylette ?" Les deux ados - un peu adultes - me regardent et disent qu'ils ont trouvé la mobylette. Ben voyons !!! Voyant qu'ils commencent un peu à baliser, je leur indique que cette mob' appartient à mon ami (ça fait plus court et plus sérieux que assistant social) et puisqu'ils pensent avoir trouvé cette mobylette j'ajoute qu'ils vont bientôt devoir s'expliquer avec les gendarmes puisque ceux-ci sont prévenus. Alors le gringalet, dans tout sa splendeur et son vocabulaire d'une richesse vraiment limitée dit en gueulant (doucement) "Les flics, j'les nique, j'les nique". Et mes deux lascars de laisser la mobylette sur sa béquille et de partir sur un air de défi ; mis à part qu'ils avaient la trouille que la maréchaussée les coince...

Je les ai laissé filé. Je suis pas flic. J'ai pris la mobylette bleue ; je l'ai rangé au bas du CMS en fermant les portes ; je suis remonté au secrétariat et j'ai appelé la gendarmerie pour savoir si Fred était toujours avec eux. "Oui, oui" et d'ajouter (on est flic ou pas...) "c'était qui ces jeunes ?". Je ne les connaissais pas (ce qui était vrai) ; ils ne m'ont pas cru. Je n'ai pas insisté. Fred est revenu chercher sa belle mobylette. Les jeunes ados qui méritent une bonne fessée avait siphonné le réservoir.

Alors, connaissant la gérante de Citroën, je l'ai appelé et elle a accepté de mettre pour 10 francs (voyez si l'histoire est ancienne !) de mélange dans la mobylette de Fred. Il s'est engagé à payer la garagiste le lendemain (il n'avait pas d'argent sur lui) ce qu'il a fait normalement.

Moralité : la jeunesse, c'est comme la société ; elle est composée d'une diversité d'individus qui nous empêchent de classifier et de généraliser toute une génération. On connaît tous des jeunes et des vieux cons, non ? Et des bien aussi... !



vendredi 20 septembre 2013

La pseudo morte...

J'ai bougé sur les secteurs. Enfin, bougé, c'est imagé. Muté ; changé de lieu ; parti sur un autre secteur... J'ai fait plusieurs endroits ; plusieurs villes et villages. Et puis, j'ai alterné entre la polyvalence (l'assistant social qui reçoit la France entière - voir message précédent... ) et l'insertion. L'insertion ; drôle de terme... Est-ce qu'on ne pourrait pas trouver une formule mieux adaptée ? Aujourd'hui, on parle "d'inclusion"... Pour moi, j'ai l'impression que c'est gélatineux et que c'est mou et que ça ressemble à un œuf. Allez savoir pourquoi... ! L'inclusion sociale ; serrez les fesses, voilààààà, on va y glisser le suposocial et ça iraaaaa mieux... Bon, je déconne mais ça y ressemble un peu. On pourrait parler "d'acceptation" non ? Un contrat d'acceptation c'est pas mal... mouhais... N'empêche que "insertion" et "inclusion", j'ai souvent l'image du travailleur social qui appuie sur la tête et qui appuie appuie appuie jusqu'à ce que ça entre. Ca y est chef ! Je l'ai inséré !

Ah oui ; je disais que j'avais travaillé en polyvalence et en insertion. Donc, pour ceux qui n'y connaissent rien (voyez-vous je parle différemment de Pujadas ou Delahousse qui disent souvent "vous vous souvenez" ou bien "vous le savez déjà" ; ben non Ducon, on ne sait pas tout et ta lucarne je ne la regarde quasiment plus sauf quand j'ai envie de déprimer). Bon, en même temps, y'a pas qu'eux qui ne savent pas - ou ne veulent pas - parler correctement d'informations intéressantes et essentielles. Oh ! Et puis je m'en fous ! Lisez Bourdieu "sur la télévision".

J'ai donc tourné sur plusieurs secteurs et il m'est arrivé de rencontrer le fils, la mère, l'autre fils et malheureusement pas le Saint Esprit ! Donc, en polyvalence sur un secteur, je rencontre le fils d'une dame que je nommerai Wolf (sacré secret professionnel qui nous hante !). Le dit Wolf est bien plus jeune que moi ; au moins 15 ans de moins (veinard !) mais il a fait de la taule et rêvait d'armée et de droiture (pas de bol, ça a loupé). Cela dit, je vais en salle d'attente, je l'appelle et il se lève en se mettant quasiment au garde-à-vous ! Oh là !!! C'est qui ce bonhomme !? Et en discutant avec lui, derrière cette prison qu'il a connu je vois un homme, que dis-je... un gamin ; à qui j'aurais pu mettre une baffe et lui tirer les oreilles ; il n'aurait pas bronché. C'est fou ce qu'on peut trouver en taule... Et c'est triste... A propos, vous connaissez la blague de ces deux femmes qui parlent de leur mari respectif ?
"Moi, mon mari il est en or" dit la première.
"Vous avez bien de la chance" répond la seconde "le mien, il est en taule".

Là, on rit...

Donc, je vois Wolf et durant plusieurs mois, voire années, je l'accompagne dans le cadre de l'insertion.
Mais comme je fais de la polyvalence (en polyvalence, on fait aussi de l'insertion et en insertion on fait de la polyvalence mais c'est de la polyvalence de catégorie... ) ne voilà-t-y pas que je rencontre sa mère. Celle-ci, que je vais voir à domicile (il lui est impossible de se déplacer normalement) m'accueille dans une maison où le plafond laisse passer la lumière - voire la pluie - , en robe de chambre bleue (non, non, elle ne vient pas de se lever) et clope comme un pompier ! Elle a 50 ans et se déplace avec une béquille  ; je lui en donne 70 facile ! Bon, la maman de Wolf est très gentille malgré sa douloureuse vie de famille. Son mari s'est fait tuer d'un coup de fusil, un de ses fils est gendarme, l'autre bûcheron qui tourne au gros rouge (que j'ai aussi "suivi") et Wolf qui est passé par la case "prison" et qui n'a pas touché 20.000 Frs.


Je me dis quand même que certains n'ont pas eu les bonnes cartes en main dans leur existence et si j'ai bien eu des malheurs dans ma vie, il y a quelque chose qui m'a sauvé (enfin, jusqu'à présent !). Donc, j'ai aidé cette dame dans ses papiers ; j'ai constitué des aides financières et puis je venais lui parler, la soutenir. C'est fou comme la parole est parfois meilleure guérisseuse que l'argent !

Et puis nous nous sommes perdus de vue. Et j'ai entendu dire, un peu plus tard, quand j'avais changé de secteur que la mère de Wolf était décédée. Ca ne m'étonnait pas vu ce qu'elle fumait... J'en étais attristé.

J'ai donc changé de secteur où j'ai recroisé le fils bûcheron qui ne tournait plus avec ses 12 litres de rouge quotidiens (oui, oui 12 litres / jour !) mais qui fumait toute l'herbe qu'il avait planté sur plusieurs hectares... Il avait le cerveau complètement ravagé...

Et après 5 années, j'ai à nouveau rechangé de secteur où j'ai recroisé Wolf que j'avais perdu de vue. A croire qu'il avait voulu me suivre comme un fils recherche son père... C'est beau !

Wolf n'allait pas bien. Il avait grandi ; il avait un fils ; il était séparé ; il avait des envies suicidaires ; il picolait comme son frère. J'ai lu Zola et ça aurait pu être un héros d'une de ses œuvres. J'en ris mais je plains celui qui vit ainsi ; où survit. Une vraie galère. En plus pour ce type au cœur tendre...

Bref, dans la discussion je dis à Wolf "Ah ! Votre mère, je l'ai bien connu. Et j'ai appris qu'elle était décédée il y a quelques années. Elle était gentille". Pis tout, quoi...
Et mon Wolf de répondre avec les yeux en forme de rondelles comme le loup dans Tex Avery "Hein !? Elle est morte ???! Mais non, elle est vivante ; d'ailleurs elle habite le Sud... !"
Une mouche passe...
Il ne m'en a pas voulu ; d'ailleurs nous avons bien ri. Et ça lui a fait le plus grand bien !

J'aime la vie ; j'aime accompagner les gens ; j'aime ces moments impromptus ; et si je peux apporter un moment de rire et d'espoir à celui qui est au bord du gouffre, ça me va...

Bonne soirée !