vendredi 20 septembre 2013

La pseudo morte...

J'ai bougé sur les secteurs. Enfin, bougé, c'est imagé. Muté ; changé de lieu ; parti sur un autre secteur... J'ai fait plusieurs endroits ; plusieurs villes et villages. Et puis, j'ai alterné entre la polyvalence (l'assistant social qui reçoit la France entière - voir message précédent... ) et l'insertion. L'insertion ; drôle de terme... Est-ce qu'on ne pourrait pas trouver une formule mieux adaptée ? Aujourd'hui, on parle "d'inclusion"... Pour moi, j'ai l'impression que c'est gélatineux et que c'est mou et que ça ressemble à un œuf. Allez savoir pourquoi... ! L'inclusion sociale ; serrez les fesses, voilààààà, on va y glisser le suposocial et ça iraaaaa mieux... Bon, je déconne mais ça y ressemble un peu. On pourrait parler "d'acceptation" non ? Un contrat d'acceptation c'est pas mal... mouhais... N'empêche que "insertion" et "inclusion", j'ai souvent l'image du travailleur social qui appuie sur la tête et qui appuie appuie appuie jusqu'à ce que ça entre. Ca y est chef ! Je l'ai inséré !

Ah oui ; je disais que j'avais travaillé en polyvalence et en insertion. Donc, pour ceux qui n'y connaissent rien (voyez-vous je parle différemment de Pujadas ou Delahousse qui disent souvent "vous vous souvenez" ou bien "vous le savez déjà" ; ben non Ducon, on ne sait pas tout et ta lucarne je ne la regarde quasiment plus sauf quand j'ai envie de déprimer). Bon, en même temps, y'a pas qu'eux qui ne savent pas - ou ne veulent pas - parler correctement d'informations intéressantes et essentielles. Oh ! Et puis je m'en fous ! Lisez Bourdieu "sur la télévision".

J'ai donc tourné sur plusieurs secteurs et il m'est arrivé de rencontrer le fils, la mère, l'autre fils et malheureusement pas le Saint Esprit ! Donc, en polyvalence sur un secteur, je rencontre le fils d'une dame que je nommerai Wolf (sacré secret professionnel qui nous hante !). Le dit Wolf est bien plus jeune que moi ; au moins 15 ans de moins (veinard !) mais il a fait de la taule et rêvait d'armée et de droiture (pas de bol, ça a loupé). Cela dit, je vais en salle d'attente, je l'appelle et il se lève en se mettant quasiment au garde-à-vous ! Oh là !!! C'est qui ce bonhomme !? Et en discutant avec lui, derrière cette prison qu'il a connu je vois un homme, que dis-je... un gamin ; à qui j'aurais pu mettre une baffe et lui tirer les oreilles ; il n'aurait pas bronché. C'est fou ce qu'on peut trouver en taule... Et c'est triste... A propos, vous connaissez la blague de ces deux femmes qui parlent de leur mari respectif ?
"Moi, mon mari il est en or" dit la première.
"Vous avez bien de la chance" répond la seconde "le mien, il est en taule".

Là, on rit...

Donc, je vois Wolf et durant plusieurs mois, voire années, je l'accompagne dans le cadre de l'insertion.
Mais comme je fais de la polyvalence (en polyvalence, on fait aussi de l'insertion et en insertion on fait de la polyvalence mais c'est de la polyvalence de catégorie... ) ne voilà-t-y pas que je rencontre sa mère. Celle-ci, que je vais voir à domicile (il lui est impossible de se déplacer normalement) m'accueille dans une maison où le plafond laisse passer la lumière - voire la pluie - , en robe de chambre bleue (non, non, elle ne vient pas de se lever) et clope comme un pompier ! Elle a 50 ans et se déplace avec une béquille  ; je lui en donne 70 facile ! Bon, la maman de Wolf est très gentille malgré sa douloureuse vie de famille. Son mari s'est fait tuer d'un coup de fusil, un de ses fils est gendarme, l'autre bûcheron qui tourne au gros rouge (que j'ai aussi "suivi") et Wolf qui est passé par la case "prison" et qui n'a pas touché 20.000 Frs.


Je me dis quand même que certains n'ont pas eu les bonnes cartes en main dans leur existence et si j'ai bien eu des malheurs dans ma vie, il y a quelque chose qui m'a sauvé (enfin, jusqu'à présent !). Donc, j'ai aidé cette dame dans ses papiers ; j'ai constitué des aides financières et puis je venais lui parler, la soutenir. C'est fou comme la parole est parfois meilleure guérisseuse que l'argent !

Et puis nous nous sommes perdus de vue. Et j'ai entendu dire, un peu plus tard, quand j'avais changé de secteur que la mère de Wolf était décédée. Ca ne m'étonnait pas vu ce qu'elle fumait... J'en étais attristé.

J'ai donc changé de secteur où j'ai recroisé le fils bûcheron qui ne tournait plus avec ses 12 litres de rouge quotidiens (oui, oui 12 litres / jour !) mais qui fumait toute l'herbe qu'il avait planté sur plusieurs hectares... Il avait le cerveau complètement ravagé...

Et après 5 années, j'ai à nouveau rechangé de secteur où j'ai recroisé Wolf que j'avais perdu de vue. A croire qu'il avait voulu me suivre comme un fils recherche son père... C'est beau !

Wolf n'allait pas bien. Il avait grandi ; il avait un fils ; il était séparé ; il avait des envies suicidaires ; il picolait comme son frère. J'ai lu Zola et ça aurait pu être un héros d'une de ses œuvres. J'en ris mais je plains celui qui vit ainsi ; où survit. Une vraie galère. En plus pour ce type au cœur tendre...

Bref, dans la discussion je dis à Wolf "Ah ! Votre mère, je l'ai bien connu. Et j'ai appris qu'elle était décédée il y a quelques années. Elle était gentille". Pis tout, quoi...
Et mon Wolf de répondre avec les yeux en forme de rondelles comme le loup dans Tex Avery "Hein !? Elle est morte ???! Mais non, elle est vivante ; d'ailleurs elle habite le Sud... !"
Une mouche passe...
Il ne m'en a pas voulu ; d'ailleurs nous avons bien ri. Et ça lui a fait le plus grand bien !

J'aime la vie ; j'aime accompagner les gens ; j'aime ces moments impromptus ; et si je peux apporter un moment de rire et d'espoir à celui qui est au bord du gouffre, ça me va...

Bonne soirée !


3 commentaires:

  1. J'adooooooooooore !
    C'est écrit comme une nouvelle avec une chute qui fait franchement rigoler.
    En même temps, c'est une tranche de vie comme on les aime, la vie d'un assistant social homme, sa profession, comme on a parfois du mal à l'imaginer.
    Merci pour ces jolies chroniques.

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  2. Rhoooooo la blague a deux balles sur le mari.... Heu purée mais t as quel âge dis donc!? Tiens un jour moi aussi je te raconterai l histoire du mort pas mort mais franchement mouru!!!

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  3. :-)
    Pour mon âge, j'ai envie de dire que - comme l'article - je commence par avoir de la bouteille !

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